Hier soir quand je me suis couché, j’étais particulièrement bien, près cette séance à la salle de sport qui m’avait nettoyé et dynamisé, je me suis inséré dans mon lit avec beaucoup de plaisir et de la légèreté au cœur.
J’étais tout de même un peu étonné de si peu m’inquiéter de l’accrochage que j’allais devoir faire aujourd’hui à Ploeren. Mais j’étais assez convaincu que dans mon cœur, dans ma tête, cet accrochage n’avait pas beaucoup d’enjeu. Parce qu’il n’était pas rémunéré, il y a moins d’attentes. Il y avait cependant quelques ombres au tableau : une très grande salle et un nombre limité d’œuvres qui plus est de petit format. L’angoisse de savoir que la salle allait donner un effet un peu vide m’angoissait de manière un peu sourde. Pourtant, comme c’est sourd, c’est loin, alors c’est pas grave. Je pense avoir l’esprit serein.
Pourtant, après un certain temps, je remarque bien que le sommeil n’arrive pas. Et je connais trop maintenant ce système-là. Système où tout est apparemment normal mais le sommeil ne vient pas. Et il ne viendra presque pas de toute la nuit.
Au milieu de la nuit, ce fut vraiment insupportable.
Insupportable de voir qu’à chaque fois qu’il y a un événement dans ma vie, il y a une insomnie qui le précède.
J’ai commencé à pleurer, doucement d’abord, et puis de plus en plus intensément, parce que j’en avais marre.
Marre, marre, j’étais fatigué de supporter cette impression de punition, cette impression de restriction, avoir l’impression que dès qu’il y a quelque chose de chouette ou d’un peu atypique qui est prévu dans ma vie, je sois comme puni par une insomnie.
J’étais dégoûté à l’idée que, demain, j’arriverai encore avec une tête épuisée, que je n’aurai pas tous mes réflexes, toutes mes capacités.
Soazig s’est réveillée pendant mes pleurs. En échangeant quelques mots avec elle, il devenait évident que j’étais en contact avec une part de moi qui était encore dans ce collège, le Collège Cardinal Mercier, en deuxième année. Que cette part-là se sentait nulle, inexistante, seule, extrêmement seule, rejetée, pas aimée, complètement perdue, complètement incapable de comprendre comment s’en sortir, comment être aimée, convaincue qu’elle n’a aucune valeur.
Pourtant, aujourd’hui à Ploeren, ça s’est bien passé. Ça s’est même très bien passé, malgré la fatigue.
J’ai même eu un point presse un peu intimidant, où j’étais assis à une table avec plusieurs personnes autour de moi. Et j’ai réussi à m’en sortir sans trop de casse, sans trop de timidité, sans trop de bouffée d’émotion. J’étais même plutôt bien. Et je me suis rendu compte à quel point il y a une différence entre ce que je suis devenu aujourd’hui, grâce à tout ce travail intérieur, et ce que je crois encore être à l’intérieur. Et j’aimerais vraiment que, petit à petit, la mise à jour se fasse. De façon plus pérenne, de façon plus consciente.
La nuit m’a semblé une impasse, et le jour m’a offert une preuve du contraire.
Peut-être que là, peut naître quelque chose de puissant. Un soulagement et probablement une bascule de perception.
Qui pleurait cette nuit ? Cette question revient souvent alors que les sanglots m’envahissent. Sans doute une part épuisée et impuissante, qui vit l’insomnie comme une punition injuste. Elle pleure d’être entravée, bridée, diminuée. Elle ne pleure pas seulement parce qu’elle est fatiguée, elle pleure d’un chagrin plus ancien : celui d’être empêchée d’éclore, d’être grande, libre, présente à la vie. Elle dit : “je veux vivre et on m’empêche de vivre”. C’est peut-être une part adolescente qui sent qu’elle n’a pas eu le droit de s’épanouir.
Cela revient encore et toujours à cet empêchement de grandir que m’aurait infligé papa.
Maintenant, il commence à sortir dans les larmes, dans le souffle, dans l’émotion, dans le corps.
Et je te remercie de tout mon corps, de toute ma chair, de tout mon coeur. Merci de venir à moi !
Il y avat aussi cette nuit une part protectrice méfiante, qui dit : “tu nous fais peur quand tu t’exposes. Reste à la maison. Ne crée pas d’événements”. Elle est celle qui a prit toute la place chez mes parents aujourd’hui. Celle-là ne pleure pas, elle gronde doucement, elle s’inquiète, elle voudrait t’éviter la chute. Elle pourrait venir du collège, ou même d’avant. Elle protège. Et elle est usée, elle aussi. Usé de me restreindre. C’est sans doute elle qui m’empêche de dormir pour me freiner en pensant me protéger.
A Travailler
Rencontrer l'adolescent triste et seul dans sa classe du Collège Cardinal Mercier.
Rencontrer cette différence entre l'image que j'ai de moi et ce que je vit aujourd'hui.