Je ne sais pas si c’est depuis ce dialogue, mais au moins il y a quelque chose qui a changé. Dans l’estomac, je me suis rendu compte J’avais un endroit avec des sentiments et comme un endroit où je pouvais y mettre ce que je ressentais.
C’est l’endroit, sûrement à l’époque, où toi tu mettais tout ce que tu ressentais par rapport aux filles, aux profs, à tes parents, à tes copains.
Et moi j’avais un peu oublié ça.
Bizarre d’oublier ça. Je ne sais pas non plus comment ça s’est passé.
Pourtant hier soir, quand je me suis endormi, je me suis remis, dans mon ventre, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de place, que j’avais envie d’y mettre beaucoup de monde dedans. Beaucoup de gens que j’aime bien, avec qui j’ai envie de garder le lien.
Et j’ai comme l’impression que c’est un peu grâce à ce dialogue qu’on a eu l’autre jour, tous les deux, Comme s’il s’était créé un peu d’espace, pour y mettre autre chose que de la gestion d’adultes.
Je voulais reprendre aujourd’hui ce dialogue avec toi.
Qu’est-ce que tu voudrais me montrer aujourd’hui ? Est-ce qu’il y a un endroit en toi qui a besoin qu’on s’y arrête ? Qu’est-ce que tu voudrais raconter ?
De ce collège peut-être ? Ce collège dont on parlait la fois passée ? Cette grosse période de notre vie étrange, lourde, solitaire ?
Est-ce que tu aurais d’autres choses à me partager sur cette période ? C’était traumatisant ? Traumatisant, aveuglant, terrorisant.
Je te vois dans tes pensées là, dans tes souvenirs. C’était terrible, mais tu sais que ce n’était pas du tout de ta faute. Tu étais seul et ce n’est pas à cause de toi que tu étais seul. Ce n’est pas parce que tu étais mauvais, ce n’est pas parce que tu n’avais pas de valeur. Ce n’est pas parce que tu étais nu ou moche. Ce n’était pas une fatalité non plus. C’était parce que tu étais né au milieu de gens qui ne voulaient pas voir. Mais tu avais le droit à quelqu’un qui te voit et qui t’aide. Tu avais le droit, certaines autres personnes avaient ça. Tu es vraiment beau. Tu es vraiment un être plein de sensibilité, de curiosité. Au fond de toi tu es tellement convaincu de n’avoir aucune valeur. Ça t’empêche de te débattre. Et puis à quoi bon se débattre dans cette famille qui de toute façon retourneront sur nous. Toute rébellion, toute colère, n’importe quelle arale doit l’exprimer. Tu te contentais de ce qui était agréable, te mettre dans ta chambre tout seul avec la musique, les fêtes de famille. C’était bizarre, tu étais content de voir les gens autour de toi.
Je te sens tellement mélancolique, t’as les yeux dans le vide comme ça, comme si tu voyais des images de ton passé et que ça te figeait, comme l’impossibilité d’en parler, d’avoir les mots, au fond de toi t’es traumatisé mais c’est comme si tu connaissais même pas ce mot. Tu me montres Bresnaleu, la piscine, tu me montres cet arrêt de bus en face de l’entrée de la piscine, cette grille. Ah oui, c’est vrai, on l’appelait ça la grille. L’arrêt de bus des angoisses, l’arrêt de bus des traumas, l’arrêt de bus de cette solitude, l’arrêt de bus de la honte, c’était ça qu’on ressentait le plus, la honte de n’avoir aucun outil pour parler aux autres, la honte de ces moqueries auxquelles on savait pas répondre, t’es comme un peu un handicapé comme ça, ces filles qui se moquent de nous, ces filles qui se moquent de moi, qui sait pas répondre, qui suis enfermé complètement dans ma solitude et mon incompétence, complètement enfermé, enfermé dans ma bulle, ces gens qui viennent me titiller, je suis terrorisé que quelqu’un vienne me parler, ne fût-ce que me regarder, parce que je sais rien répondre, je sais pas quoi, je me sens nul partout, je me sens inexistant en fait, j’ai toujours envie de fuir le moment, mais ce corps est là et je peux pas aller contre. Merci de partager tout ça mon panda, est-ce que ça te fait du bien d’en parler un peu? Oui, peut-être, je sais pas, cette grille, ce bus à attendre, ces moments à fuir absolument, puis ces tentatives vaines de se donner de la valeur, avec un Walkman, une cassette, une veste, mais au fond, qu’est-ce qu’on était triste, personne pour venir me secourir, merci panda, moi aujourd’hui je voudrais être cet adulte sur lequel tu peux te reposer, comme tu fais là maintenant, et qui tu peux raconter tes histoires, je voudrais te proposer de te sentir bien ici, tu es accueilli, tu as une place, tu es reconnu, je t’aime, je peux te prendre dans les bras, te câliner, te rassurer, parce que ce que tu as vécu était vraiment très lourd, et vraiment pas juste, et pas humain, et pas juste, c’est pas juste qu’un humain vive ça, même s’il y a plein d’humains qui vivent ça, tous les humains ont droit à de l’amour, à être réchauffé, câliné, réconforté, rassuré, on a tous droit à ça, toi autant qu’un autre, il n’y a pas un humain qui n’a pas droit à ça, dès le début. Toi je te sens comme un animal en totale insécurité physique, psychique, psychologique, mentale, qui te sens figé dans une solitude, dans une incapacité de penser, de voir, de réfléchir, d’être.
De devoir recevoir cet amour, et de ne pas y croire. C’est dire à quel point t’es construit de peur et d’inquiétude. Maintenant je serai toujours là. Je serai toujours là pour toi, pour te montrer que t’as le droit d’être aimé. T’as le droit d’être aimé, t’as le droit à prendre ta place, à réfléchir, à sentir, à dire, à te rebeller, à danser, à aimer, à aller vers les autres. T’as le droit à tout ça et t’as le droit de prendre tout ton temps. C’est impressionnant à quel point tu es comme hypnotisé par… par quoi d’abord ? Par ton père peut-être ? Cette voix qui est rentrée dans ta tête, qui a tout remplacé.