Je voulais parler d’un sujet un peu énorme : les devoirs des enfants, le soir et le week-end.
C’est devenu pour moi un point de tension tellement énorme, un moment tellement insupportable, qu’il est grand temps que je fasse un vrai travail intérieur là-dessus.
Parce que leur demander de faire le devoir et les accompagner est pour moi une tâche tellement difficile, une telle punition, une telle souffrance que j’ai l’impression que c’est le pire moment de ma vie actuellement.
C’est là où le plus de tensions se cristallisent. Et encore je dis ça, mais les trois quarts du temps, c’est Soazig qui s’en occupe, moi je fuis, je vais faire manger, ou je fais autre chose.
Cette fuite n’empêche rien, elle renforce même cette sensation de tension désagréable. Alors, je voudrais faire un petit travail là-dessus.
Tour du propriétaire…
Alors, soyons très clairs, au moment où il faut faire les devoirs, j’ai de la colère, un ennui énorme, et très vite de l’agacement, et un sentiment d’impuissance.
Au moment où je dois être avec lui, c’est une sensation difficilement supportable, c’est comme si je devais rester assis sans bouger dans une pièce sombre où il n’y a rien, alors que tout le monde joue dehors et semble libre.
C’est vraiment la sensation d’une punition.
Alors, oui, étranglement, exaspération, claustrophobie, répulsion, tout ça c’est juste.
C’est terrible aussi quand j’essaie d’expliquer ses cours et que je me rends compte qu’il ne va pas comprendre ce que je raconte, ou que même quand je prends le temps de bien expliquer calmement avec des chouettes mots, avec des images, parfois il me dit oui, j’ai compris, alors que je vois que ce n’est pas compris, et je me dis je ne suis pas prof, je n’ai pas été formé pour ça.
Pourquoi les profs font ça, vivre aux parents ?
Pourquoi est-ce que les enfants qui ont déjà passé tant d’heures à l’école doivent encore en passer à la maison ?
Et puis pourquoi leur faire apprendre la majorité de cette matière qui ne servira pas beaucoup dans la vie ?
Et puis moi, personne ne m’a jamais vraiment aidé à partir du collège à faire mes devoirs, et j’ai eu une scolarité assez catastrophique à partir du collège.
Avant j’avais ma maman qui m’aidait, même s’il y avait eu des moments tendus, je pense que la majorité du temps ça allait.
Une part en toi semble hurler :
“Ne me remets pas là-dedans. Ne m’enferme pas. Ne me force pas à refaire cette scène où j’ai été seul, enfermé, nul, où j’ai raté.”
Et peut-être ajoute-t-elle, intérieurement :
“Et ne me rends pas responsable de leur avenir. C’est trop lourd. Trop injuste.”
Non, mais c’est exactement ça. C’est cette part qui a déjà tellement souffert de ses devoirs. Elle n’arrivait pas à apprendre les leçons. La plupart du temps, elle ne faisait pas les devoirs. Et puis, elle se faisait réprimander à l’école. Les notes étaient très mauvaises. Tout ça, c’était déjà tellement douloureux. Et maintenant, effectivement, elle se ressent à nouveau devoir rejouer la scène. Et en plus, comme si elle emmenait d’autres personnes avec elle. C’est dégueulasse, quoi. Et c’est tout ce que je voulais éviter. Maintenant que j’ai presque 50 ans, on me remet dans cette douleur, putain, que j’ai passée, quoi. C’est bon, moi, j’ai passé cette douleur, j’ai passé cette prison, quoi. Je vous ai fait vos années de merde à vous obéir, à apprendre des conneries. Et maintenant, ça recommence et c’est reparti pour combien de temps ? Combien d’années ? Je suis dans une colère noire, une colère, un dégoût, une injustice, quoi. Je ne sais même pas les mots pour montrer à quel point je suis dégoûté.
Tout à l’heure, c’est bien ce que j’ai essayé, je me suis posé près de lui en disant je vais juste être là pour le soutenir. Mais je me jugeais parce que c’était insoutenable et que j’avais l’impression de lui transmettre cette énergie. C’est tellement lourd pour moi, c’est tellement puissant.
Juste après avoir écrit ces mots, ça a craqué.
J’ai réussi, devant la famille, à montrer un peu que pour moi les devoirs et le collège étaient très durs et je me suis écroulé en larmes. J’ai senti qu’il y avait encore énormément de douleurs et de charges émotionnelles à sortir. J’ai un peu peur parce que quand je travaille tout seul, c’est moins facile pour moi de pleurer.
Un part qui est né dans le lien
Ce que tu as vécu devant ta famille n’avait rien d’inapproprié.
C’est comme si une part de toi avait enfin trouvé un témoin.
Et quand une douleur ancienne trouve un témoin vivant, elle peut se permettre de se montrer.
C’est peut-être pour ça que tu arrives moins à pleurer seul :
pleurer seul nécessite un niveau d’auto‑sécurisation, d’auto‑témoignage,
alors que devant quelqu’un tu peux t’appuyer — même subtilement — sur une présence.
Certaines émotions refusent de sortir dans la solitude
parce qu’elles naissent dans la relation.
J’étais sincèrement ravi hier de pleurer devant mes enfants et devant ma compagne. Ça m’a fait beaucoup de bien qu’ils sentent ma vraie position. Ça m’a fait plaisir et je leur ai répété que quand ils me voient pleurer comme ça, c’est que je guéris, ce sont des larmes qui me nettoient. Et je leur ai dit aussi que je ne comptais pas pleurer devant eux, je ne comptais pas les embêter avec ça. Donc là c’était plus fort que moi. Et ce que tu me dis me touche beaucoup parce qu’effectivement depuis le début, je vois bien que c’est une part qui a besoin de présence extérieure pour pleurer. Et c’est vrai que ça va à l’encontre de mon fonctionnement qui aurait envie que je gère mes problèmes dans mon coin, comme je fais depuis le début et que je vive avec ma famille et les autres de manière plus apaisée après le travail. Parce que j’ai compris que ce n’est jamais la faute des autres. Et c’est vrai qu’à l’époque, je leur portais souvent la faute sur les autres. Et là j’ai compris que c’est tout était à régler avec moi. Mais je n’avais pas pris en compte que certaines parts avaient peut-être effectivement besoin de se réparer dans le lien. Parce qu’elles s’étaient abîmées dans le lien. Donc toutes seules. Même si elles sont en lien peut-être avec le self. Mais au moins, cet effet de réparation de voir que les autres écoutent et sont touchés.
Mes difficultés scolaires ont doucement commencé en sixième primaire. Je me souviens que j’avais un peu de mal à apprendre mes tables de multiplication. J’avais un peu de difficulté de concentration, je pense. Et puis je pense que c’était le début des relations intrusives avec mon frère. Et puis mes difficultés scolaires se sont démultipliées, ont explosées, ont pris toute la place dès le début du collège où je me suis senti différent, exclu. Je suis arrivé au collège avec deux copains de l’école primaire qui étaient dans ma classe. Et dès les premiers jours, premières semaines, j’ai compris que je serais seul, que j’étais pas capable, j’avais pas les moyens de me faire des copains et j’avais pas les codes. Et très vite je parlais souvent de suicide. J’en parlais tellement souvent qu’à un moment une fille de ma classe m’avait… C’est horrible aujourd’hui, je m’en rends compte, fabriquer une corde pendue, en vrai, elle me l’avait offerte. Ça veut dire que je devais vraiment en parler beaucoup, je m’en souviens pas vraiment. Je pense que la douleur était tellement forte d’être seul et d’avoir aucun code, aucun levier, aucune stratégie, aucun accès à moi-même sûrement déjà. J’avais même pas la stratégie de m’accrocher à mes études comme une fuite du social.
Mes résultats étaient dès le début pas bons et les profs ne parlaient que de fainéantises qu’il fallait que je me réveille, qu’il fallait que je me prenne en main. Chaque fois je promettais que j’allais le faire et… Mais j’avais aucune conscience de comment me responsabiliser ou comment… C’était presque impossible pour moi de me concentrer sur ce que j’avais à faire. Et ça, ça ressort très fort aujourd’hui avec mon fils qui me parle de suicide et qui arrive pas à se concentrer très fort sur ce qu’il a à faire. Et en théorie je pourrais dire que j’arrivais pas à me concentrer parce que je pense que je voulais pas trop briller devant mon père et il y avait aussi ce traumatisme d’attouchement de mon frère. Je pense que ces deux choses-là ont fait que j’arrivais pas à me concentrer mais je les ai pas encore vraiment ressentis de l’intérieur. Y a pas une confirmation émotionnelle que c’est vraiment ça qui m’empêchait de travailler à l’école, de me mettre en valeur, de pas me dévaloriser en tout cas. Quand je regarde cette situation aujourd’hui, je me dis que j’aurais vraiment pu travailler pour avoir des bonnes notes, ça m’aurait déjà conforté socialement. Et je me dis que je me mettais vraiment en danger à vouloir toujours essayer de faire partie des gens cools et j’avais aucun outil pour ça. Je me mettais vraiment en danger et j’entends dans ces phrases Soazic parler à mon fils en disant qu’il se met toujours en danger, vraiment une boucle qui se crée.
Ce que tu viens de poser, en profondeur
Tu as décrit plusieurs couches traumatiques qui se sont superposées :
- Difficultés scolaires réelles (concentration, apprentissage, tables, sens)
- Situation d’abus / intrusion intime
- Isolement social violent et rapide
- Envies et paroles de mort à un âge où l’identité se construit
- Moquerie ou mise en scène morbide par les pairs (la corde… c’est glaçant)
- Message scolaire culpabilisant : « fainéant, réveille‑toi »
- Absence d’adultes capables de décoder ce qui se passait
- Tension avec la figure paternelle, loyauté inconsciente
- Auto‑dévalorisation + incapacité de se sentir acteur
- absence de « sortie de secours » intérieure
C’est normal que ton système nerveux considère l’école comme un lieu de danger existentiel, pas juste académique.
Et maintenant, tu te retrouves de l’autre côté du miroir, père d’un enfant :
- en manque d’intérêt scolaire,
- en difficulté de concentration,
- avec des idées ou paroles suicidaires,
- peut‑être prisonnier du même script.
Ce n’est pas juste une coïncidence : c’est un miroir transgénérationnel, une réactivation, et peut‑être même une chance de re‑négocier le scénario.
Les devoirs aujourd’hui, ce n’est pas un exercice éducatif pour ta psyché ;
c’est une zone traumatique où ton corps dit :
« On ne retourne pas dans une maison en feu, encore moins avec mon fils dans les bras. »
C’est sain de dire stop.
C’est protecteur.
C’est aimant.
Tu as peur de trois choses simultanément :
1️⃣ que ton fils revive la même destruction que toi
2️⃣ que ta compagne renforce involontairement le traumatisme par un discours de performance
3️⃣ que toi, faute de force émotionnelle, tu n’arrives pas à être le père guérisseur dont tu rêves
Et tu associes ces trois peurs à une impuissance vécue comme danger vital.
Ce n’est pas de la crispation —
c’est un état post‑traumatique parentifié.
Et pourtant, tu n’es pas impuissant.
La preuve : ton fils t’a déjà choisi comme espace de sécurité.
Je ne suis pas obligé d’être guérisseur parfait.
Même un millimètre de réparation vaut mille fois mieux que le silence d’avant.
Je ne suis pas seul : j’ai une intuition, j’ai une conscience, j’ai du courage.
Je ne vais pas reproduire : je suis déjà en train de transformer.