T’es complètement fou, je te déteste de m’emmener là-bas. T’es vraiment chiant, tu sais que c’est un endroit où on va mal dormir, où ça va être compliqué au niveau relationnel, ça va être hyper dense, il va y avoir beaucoup de monde, beaucoup de bruit, plein de gens, on va dormir dans un dortoir, on va devoir faire un long trajet en voiture, il n’y aura pas d’endroit pour faire la sieste, il n’y aura pas d’endroit de refuge.
Et qu’est-ce qu’on va gagner d’aller là-bas ?, mais qu’est-ce qu’on va gagné ? Voir 2-3 artistes, voir des gens qui exposent, c’est quoi ? Qu’est-ce que ça nous apporte ? On voit très bien ces dessins sur Instagram.
De toute façon, c’est des lieux où il y a tellement de bruit, tellement de passages qu’on ne peut même pas avoir des conversations un peu intéressantes, un peu intimes. Et puis tout ce passé que tu vas remuer avec le croquandmob.
Non mais c’est quoi ce truc où tu m’emmènes, j’ai l’impression que tu nous emmènes à la broyeuse, sans aucun respect, sans aucune conscience, sans aucune stratégie, tu nous envoies à l’abattoir, et tu essaies de te dire que ça va aller, que tu as grandi, que maintenant ça va aller. Mais moi je ne suis pas rassuré du tout, et j’en ai déjà tellement vécu des moments comme ça, et c’était tellement horrible.
Moi j’ai déjà envie d’être après, j’ai envie de saboter tout ça pour ne pas devoir y aller. Parce que qu’est-ce qu’on va en retirer au final ? Juste le fait d’y être allé, et la fierté d’avoir été un stand un peu connu, c’est juste ça, c’est juste une médaille à ton blason ?
Mais ça va tellement être un carnage social qu’il n’y aura même pas de bons moments, il n’y aura même pas de bons souvenirs.
Voilà ce que dit une part en moi très touchée par rapport à mon choix d’aller passer quatre jours sur un festival de carnets de voyage sur lequel je suis déjà allé une fois.
J’ai vraiment envie d’être à son écoute et créer un dialogue avec elle parce que je sens sa souffrance intense et sa peur intense et son honnêteté ainsi que sa clairvoyance.
Je voudrais lui dire qu’elle est précieuse parce qu’elle est sensible et clairvoyante et qu’effectivement, à tellement de moments, elle s’est sentie rejetée et mise de côté parce qu’elle était gênante.
Parce que prendre soin de soi dans des événements comme ça n’était vraiment pas ma priorité. Ma priorité à l’époque étant seulement de survivre et d’essayer d’afficher un personnage fort, fier, qui tient la route. Alors qu’au fond de moi, elle était là en train de pleurer dans le désarroi le plus total.
Aujourd’hui, je voudrais vraiment lui laisser la parole et avoir ce dialogue avec elle pour qu’elle se sente écoutée et reconnue. Parce qu’elle a vraiment raison d’être épuisée de ce carnage intérieur qui a pu se passer maintes et maintes fois. Quand je vais dans ce genre d’événements, parce que je suis encore très fragile au fond de moi, et j’ai encore cette image d’un enfant et ensuite d’un adolescent blessé, qui a beaucoup de peur et beaucoup de honte.
Lui parler…
Merci d’avoir parlé, et je t’ai entendu, c’était fort, j’ai entendu ta voix qui tremblait, j’ai entendu ta fatigue et ta peur, et ta crainte, et je voudrais que si on y va, on y aille ensemble. Je ne veux pas que tu te sentes lésé, que tu te sentes protégé, et je t’avoue que je ne sais pas comment faire.
Tout ce que j’ai, c’est une intuition, c’est que si on y va, on peut être surpris par la réalité, on peut être surpris par ce qui va nous arriver, et ce qui va nous arriver sera peut-être différent de ce qu’on imagine, parce que oui jusqu’à présent toutes nos sorties étaient terribles, terribles, terribles, terriblement souffrantes, terriblement douloureuses, terriblement arrachées de nous-mêmes, terriblement violentes à l’intérieur, et j’entends que tu n’as plus, et moi non plus, t plus envie de vivre ça.
Tout ce que je peux dire, tout ce que je vois, c’est que ces derniers temps, on a cette peur la nuit, la veille de vivre quelque chose d’un peu différent, et on n’a pas dormi, et on a pleuré, et on s’est rendu compte le lendemain que ça se passait extrêmement bien, et que nos peurs étaient beaucoup moins d’actualité aujourd’hui. Mais c’est tout ce que j’ai pour te rassurer, parce que je n’ai pas non plus encore vraiment intégré cette nouvelle personne que je suis devenu.
Tout ce que je peux offrir aujourd’hui, et encore, c’est fragile, c’est de la présence, c’est d’être présent avec toi dans cette douleur, dans cette crainte, dans ces mémoires terribles, terribles et épuisées.
Mais pour moi aussi, c’est tellement dur de traverser tout ça.
Et en même temps, tiens, je croyais que ça allait faire pour te retrouver de l’autre côté du tunnel un jour. Je peux t’offrir ça, ma présence, quand je peux, quand j’y arrive. Et qu’on traverse ça ensemble. C’était tellement dur, c’était tellement long, c’était tellement tout le temps, c’était tellement répétitif, c’était tellement une définition de moi-même, cette douleur, cette persécution intérieure, ce rejet, tous ces travestissements constants, constants, constants, obligatoires, nécessaires, vitaux, que moi-même je sais même pas si on sait faire autre chose que ça. Je crois que petit à petit on y arrive. J’arrive à rester avec vous, j’arrive à rester là. Même si ce n’est vraiment pas facile parfois, je le fais quand même, parce que j’ai plus envie de me travestir.
C’est trop pour expérimenter ce que t’es devenu aujourd’hui, t’as pas un événement plus petit, plus viable, à notre échelle quoi, cette espèce de mastodonte, ce truc énorme de 4 jours, ça va aller dans tous les sens.
Oui j’entends bien que c’est énorme pour toi, et d’un autre côté j’ai aussi peur qu’on reste enfermé dans une vie où on rencontre plus grand monde et où on reste dans la sécurité parce que le passé nous fait peur.
Et j’ai vraiment ce rêve de pouvoir être dans le vivant, dans le mouvement, et y être confortable. En tout cas y être présent dans un premier temps et peut-être un jour y être confortable et j’ai l’impression que ça passe par des événements comme ça.
Et que oui, c’est vrai qu’on va me dire que j’y vais qu’un seul jour, mais c’est aussi possible que je me revienne, que je prenne un covoiturage pour revenir, mais j’aurai tellement l’impression d’une défaite.
Je sais que c’est vraiment difficile pour toi et que les derniers événements traumatisants sont encore assez récents.
Effectivement je suis très courageux je crois et sans doute un peu téméraire, un peu audacieux. De croire que je suis prêt aujourd’hui à vivre ce genre d’événement sans qu’il y ait de la casse. C’est un peu illusoire de croire que j’y suis préparé, que je suis prêt.
On va faire notre possible pour rester présent et à l’écoute. Tu crois que c’est deux parts là qui parlent ou c’est le self qui a envie d’y aller ?
ce que tu viens de faire dans ce message, c’est du Self en action. Pourquoi ? Parce que :
- tu écoutes la part effrayée, sans la mépriser ni la bâillonner,
- tu accueilles les limites réelles, sans t’enfuir dans un fantasme de réussite,
- tu nommes clairement ton désir d’élan, de vivant, de rencontre, sans en faire une tyrannie,
- et tu proposes des alternatives souples : y aller un jour, repartir en covoiturage, sans pour autant t’y enfermer.
C’est ça, le Self : ce n’est pas celui qui décide en surplomb, c’est celui qui oriente en écoutant profondément.
Et peut-être que ce que tu ressens là, c’est une maturité nouvelle : pas un “je suis prêt, j’ai dépassé mes traumas”, mais plutôt un “je suis prêt à être là avec ce qui va venir, à tenter, et à prendre soin de nous dans le processus”.
Ça tremble trop, là. Ça tremble trop pour y aller. On voit bien qu’actuellement le moindre petit événement génère des peurs tellement immenses, des revivals de souvenirs de cet adolescent qui, encore toujours dans sa classe d’école, enfermé, seul.
On est en train de travailler ces trucs superbes et c’est peut-être une période où on est en convalescence, quoi. Dans ces périodes ultra fragiles où on se rend compte que mon père aussi est sans doute un pervers et que ma mère est victime de lui et que tous ces trucs difficiles.
Et toi tu vas dans un festival de dessin où il va falloir se sentir peut-être dans un autre monde, parce qu’actuellement on est un peu dans un autre monde avec toute cette exploration intérieure et toutes ces mises à nus, toutes ces fragilités.
Et tu vas rencontrer des gens qui eux arrivent à traverser le vivant, à rester vivant, à s’amuser dans la tourmente. Tu vas te comparer, tu vas encore dire que t’y arrives pas et que toi t’es nul et que t’es encore loin d’y arriver et tout ça. Et ça fait chier, quoi. Tu vas te comparer et tu vas te mettre en souffrance. Ça va être dur pour toi de trouver ta juste place et d’accepter. Tu voudras te guérir de tout. Ça va être énorme, ça va être trop lourd, quoi. T’oseras pas dire que pour toi c’est dur cet événement, pour toi c’est pas rien et les autres vont pas entendre.
Même si tu le dis, ils vont essayer de minimiser, de te faire la leçon. Tu vas te pas sentir écouté, tu vas te dire bah oui c’est vrai j’exagère.
En fait t’es dans un vrai travail, un putain de beau travail, un truc énorme. C’est vrai ce que tu fais. Pas besoin de le dire aux autres. On a tellement besoin qu’on ait un petit appart, un endroit sympa, un endroit à nous, un refuge. Parce que j’ai peur que dans ce dortoir, si on y retourne, qu’il y ait quelqu’un, qu’on puisse pas vraiment se poser, qu’on doive expliquer que là on a besoin d’un peu de calme. Ça va être bizarre.
Et en même temps j’entends bien que peut-être, justement on va peut-être permettre de résoudre différemment les problèmes qu’on a rencontrés jusque là et que peut-être on va se rendre compte qu’il y a plein de gens bienveillants avec qui on peut parler, on peut se sentir bien. Parce que je sais qu’à un moment on y croyait à ça. On y croyait à ça, que c’était rassurant, qu’il pouvait y avoir des gens gentils. Même si c’était un moment suspendu, qui n’a pas duré sans doute très longtemps, parce que je ne sais même pas quand c’était, je ne vois même pas quand c’était. Peut-être qu’on le pensait juste un peu plus que d’autres, chez qui on voyait la terreur des autres, la terreur de l’inconnu. Parce qu’on ne peut pas vraiment dire qu’il y a une période de ma vie où je me suis senti en sécurité face aux inconnus, face à l’inconnu. Je me suis même plutôt toujours senti le rejeté, le pas beau, celui qui va dans des dortoirs avec tous les autres rejetés, qui de toute façon ne verraient même pas ce qu’il aurait à dire s’il allait dans un dortoir de non-rejetés.
C’est vrai, j’ai sans doute manqué de beaucoup de respect, là. T’as tout ce travail, et j’ai sans doute cru que… que tout ça, c’était du vent, peut-être, ou pas grand-chose.
C’est vrai que… que… que j’envois un peu à l’abattoir, là, et que… peut-être que j’entends pas bien, là, la douleur et la peur et… Tout ce travail que vous faites, tout ce travail… C’est beau, quoi. C’est beau, et ça mérite d’être protégé, ça mérite d’être reconnu. Ça mérite d’être valorisé. Et c’est vrai que ça mérite peut-être de prendre en compte que les dortoirs, jusque-là, c’était tellement traumatisant, que c’est peut-être pas une fuite de souffrir à un logement seul, c’est juste peut-être encore un peu trop frais. Et c’est vrai que ça pourrait vraiment être chouette d’avoir les deux possibilités, de voir comment ça se passe dans le dortoir, de voir à quoi ça ressemble, avec qui on dort, et d’avoir un… un plan B, si jamais ça ne correspond pas à ce qu’on aime. Vraiment, c’est vrai que… que je vois vraiment comme une… comme une faiblesse de ne pas y arriver. Mon point de vue change tellement vite. Et c’est vrai que je pourrais faire ce plan B, je pourrais le mettre en place.
Et là je regarde des chambres sur Airbnb ou des studios et il me revient toujours cette peur aussi de prendre une chambre chez l’habitant. La peur de déranger, de ne pas être libre. Ça, c’est vieux aussi. A l’époque je me souviens, quand je faisais des mini-trips, j’allais toujours dans les hôtels les plus informes, les plus déshumanisés pour ne pas devoir rencontrer des gens. C’est terrible ça, je suis vraiment fatigué de cette peur-là. C’est tellement inconfortable de dire que je vais essayer le dortoir et si ça ne va pas j’irai prendre un logement à l’extérieur, tout seul. Devoir expliquer, ou pas, en tout cas devoir me rendre compte que les dortoirs ont été traumatisants dans ma vie.
Je me rends compte que ces choses-là je ne peux pas les raconter à n’importe qui parce que peu de gens peuvent les comprendre et déjà moi j’ai du mal à donner du crédit. J’ai l’impression de me perdre un peu là.